J.O. 274 du 27 novembre 2003
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Texte paru au JORF/LD page 20173
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Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité
NOR : CSCL0306955X
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, adoptée le 28 octobre 2003.
Les requérants articulent à l'encontre des articles 5, 7, 8, 19, 21, 22, 23, 24, 28, 42, 49, 50, 53 et 76 de la loi différents griefs qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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I. - Sur l'article 5
A. - L'article 5 de la loi déférée modifie les dispositions des quatre derniers alinéas de l'article 5 de l'ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relatives aux refus d'entrée en France. Il prévoit, notamment, que la décision de refus d'entrée est notifiée à l'intéressé avec mention de son droit d'avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu'il devait se rendre, son consulat ou le conseil de son choix, ainsi que de son droit de refuser d'être rapatrié avant l'expiration du délai d'un jour franc. Il précise que l'étranger est invité à indiquer sur la notification s'il souhaite bénéficier de ce délai d'un jour franc.
Les requérants soutiennent que le législateur, en prévoyant que l'étranger peut renoncer au bénéfice du jour franc avant qu'il soit procédé à son rapatriement, a méconnu le principe d'égalité et est demeuré en deçà de sa compétence.
B. - Cette argumentation ne pourra être suivie par le Conseil constitutionnel.
Il faut rappeler, d'abord, qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès au territoire national. Les conditions de leur entrée en France peuvent ainsi être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l'autorité publique des pouvoirs étendus et le législateur dispose, à cet égard, d'un pouvoir d'appréciation pour mettre en oeuvre les objectifs d'intérêt général qu'il s'assigne. L'appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le législateur estime devoir prendre ne saurait être tirée de la comparaison entre les dispositions de lois successives mais ne peut résulter que de la confrontation de la loi avec les seules exigences de caractère constitutionnel (décision no 89-261 DC du 28 juillet 1989 ; décision no 93-325 DC du 13 août 1993 ; décision no 97-389 DC du 22 avril 1997). Les parlementaires requérants ne peuvent ainsi, en tout état de cause, se prévaloir d'une comparaison entre la loi déférée et les dispositions actuellement en vigueur de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Il faut relever, ensuite, que le législateur a déjà plusieurs fois modifié les dispositions de l'article 5 de l'ordonnance de 1945, en fonction des orientations de la politique migratoire qu'il entend retenir. Sur la question particulière du jour franc laissé à l'étranger avant de procéder à son rapatriement en cas de refus d'entrée sur le territoire national, on peut souligner qu'il a été introduit dans l'ordonnance de 1945 par la loi du 29 octobre 1981, qu'il a été supprimé par la loi du 9 septembre 1986, sauf lorsqu'il était demandé par l'autorité consulaire, avant d'être rétabli par la loi du 2 août 1989. La suppression décidée par le législateur en 1986, dont le Conseil constitutionnel était expressément saisi, n'a pas été jugée contraire à la Constitution (décision no 86-216 DC du 3 septembre 1986).
Au demeurant, la portée de la modification résultant de la loi déférée doit être précisément mesurée : elle n'a pas supprimé le droit au bénéfice du jour franc pour l'étranger qui le demande ; elle s'est bornée à organiser les règles procédurales selon lesquelles est recueillie la volonté de l'étranger. La loi prévoit ainsi les modalités de notification de la décision refusant l'entrée sur le territoire, qui comporte l'indication des droits de l'intéressé - droit de prévenir une personne de son choix, droit au bénéfice du jour franc -, impose que la décision et la notification des droits soient communiquées à l'étranger dans une langue qu'il comprend et précise que l'étranger est invité à indiquer sur la notification s'il demande à bénéficier du jour franc. Il faut observer qu'en apportant ces précisions, le législateur n'a fait qu'expliciter le déroulement de la procédure telle qu'elle est aujourd'hui mise en oeuvre sous l'empire des dispositions actuelles de l'ordonnance de 1945 : la clarification qu'il opère à ce propos comme l'énoncé des droits qu'il garantit aux étrangers auxquels l'entrée sur le territoire est refusée ne peuvent être regardés comme étant contraires à la Constitution. On peut d'ailleurs observer qu'en pratique aujourd'hui près de 60 % des étrangers auxquels l'entrée sur le territoire est refusée à l'aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle - où sont prononcées 80 % des décisions de refus d'entrée sur l'ensemble du territoire national - ne demandent pas à bénéficier du jour franc et préfèrent être immédiatement rapatriés.
Il faut relever, enfin, que la disposition critiquée prévoit des règles de procédure uniformes, applicables à tous les étrangers qui se voient opposer une décision de refus d'entrée sur le territoire national. Par suite, elle ne saurait être jugée contraire au principe d'égalité. Le législateur ne peut davantage être regardé comme étant demeuré en deçà de sa compétence : on peut noter, au contraire, qu'il a choisi de préciser lui-même des règles procédurales qui n'étaient auparavant déterminées que par l'autorité administrative ou qui résultaient de la pratique administrative. Les griefs articulés par les saisines à l'encontre de l'article 5 de la loi déférée ne pourront, dès lors, qu'être écartés.
II. - Sur l'article 7
A. - L'article 7 rétablit un article 5-3 à l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui prévoit que l'étranger qui déclare vouloir séjourner en France pour une durée de moins de trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée doit présenter un justificatif d'hébergement, qui prend la forme d'une attestation d'accueil. Cette attestation est présentée pour validation au maire qui agit en qualité de représentant de l'Etat. La validation peut être refusée si les pièces justificatives requises ne sont pas produites, si l'étranger ne peut être accueilli dans des conditions normales de logement, si les mentions portées sur l'attestation sont inexactes, si les attestations antérieurement signées par l'hébergeant font apparaître un détournement de la procédure. Des vérifications sur place peuvent être faites par certains agents de la commune, spécialement habilités, et par des agents de l'Office des migrations internationales. Le recours formé contre un refus de validation doit être obligatoirement précédé d'un recours hiérarchique auprès du préfet. Les demandes de validation peuvent être mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé afin de lutter contre les détournements de procédure, selon des dispositions déterminées par décret en Conseil d'Etat après avis de la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés.
Les députés et sénateurs saisissants invoquent, à l'encontre de ces dispositions, les principes à valeur constitutionnelle du respect de la vie privée, du droit à une vie familiale normale, de l'égalité devant la loi, du droit au recours. Ils font, en particulier, valoir que l'obligation imposée à l'hébergeant de disposer des moyens nécessaires pour assurer le séjour et le rapatriement de l'étranger porte une atteinte excessive au droit à la vie privée et familiale, méconnaît le principe d'égalité et est entachée d'incompétence négative. Ils critiquent la procédure de validation de l'attestation d'accueil au motif que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence en n'encadrant pas suffisamment les pouvoirs des maires et en ne déterminant pas les conditions de l'habilitation des agents communaux. Ils soutiennent, en outre, que la possibilité de créer des fichiers porte atteinte à la liberté individuelle et n'est pas assortie des garanties nécessaires. Ils contestent, enfin, que le législateur ait pu imposer d'exercer un recours hiérarchique auprès du préfet à titre de préalable obligatoire d'un recours contentieux contestant le refus de valider une attestation d'accueil.
B. - Ces différents griefs ne sont pas fondés.
1. L'article 7 rétablit une procédure de contrôle administratif des attestations d'accueil que produisent les étrangers qui déclarent vouloir séjourner en France pour une durée n'excédant pas trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée et confie ce contrôle aux maires agissant en qualité de représentants de l'Etat. La loi du 11 mai 1998 avait abrogé le régime du certificat d'hébergement qui résultait en dernier lieu des lois du 24 août 1993 et du 24 avril 1997 modifiant l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. On peut relever qu'en l'absence de contrôle administratif sur ces justificatifs leur nombre a augmenté de façon considérable, passant de 160 000 en 1997 à 735 000 en 2002. C'est au vu de cette situation, qui donne à penser que ce dispositif conçu pour faciliter les visites privées a été détourné de son objet à des fins migratoires, que le législateur a décidé d'encadrer à nouveau les conditions de délivrance des attestations d'accueil.
Le Conseil constitutionnel a déjà admis la conformité à la Constitution d'un tel mécanisme de contrôle de justificatifs d'hébergement, exercé par les maires agissant comme agents de l'Etat placés sous le contrôle hiérarchique du préfet et comportant des modalités de vérification sur place analogues à celles retenues par la loi déférée (décision no 93-325 DC du 13 août 1993).
2. Afin de responsabiliser l'hébergeant, le législateur a prévu que l'attestation d'accueil devait être accompagnée d'un engagement de l'hébergeant à prendre en charge, au cas où l'étranger accueilli n'y pourvoirait pas, les frais de séjour en France de ce dernier dans la limite des ressources exigées d'un étranger entrant en France en l'absence d'une attestation d'accueil, ainsi que les frais de rapatriement si l'étranger ne dispose pas, à l'issue de la période de présence régulière en France, des moyens lui permettant de quitter le territoire français.
Contrairement à ce qui est soutenu par les parlementaires requérants, de telles dispositions ne méconnaissent pas le principe d'égalité. Elles posent en effet des règles applicables de façon uniforme à tous les étrangers déclarant vouloir séjourner en France pour une durée de moins de trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée. En appliquant les mêmes règles à toutes les personnes entrant dans leur champ d'application, le législateur ne peut être regardé comme ayant porté atteinte au principe constitutionnel d'égalité.
Ces dispositions ne méconnaissent pas davantage le droit à la vie privée ou le droit à une vie familiale normale. Il faut noter que le mécanisme de l'attestation d'accueil a pour objet et pour effet de réduire de moitié le niveau des ressources exigées d'un étranger pour qu'il puisse entrer en France pour un séjour de moins de trois mois. Il favorise ainsi les visites en France pour des séjours qui s'inscrivent dans le cadre d'une visite familiale ou privée.
Surtout, il faut souligner que l'engagement de l'hébergeant, en l'état des dispositions législatives votées par le Parlement, ne peut être compris comme impliquant que l'hébergeant serait contraint de pourvoir aux frais de séjour et de rapatriement de l'étranger accueilli. Cet engagement a exclusivement pour objet de s'assurer de la réalité du consentement de l'hébergeant à accueillir effectivement l'étranger concerné, dans le but de le responsabiliser.
Plaident en ce sens plusieurs arguments tirés de la rédaction de l'article 7 de la loi déférée et des dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945. En premier lieu, on doit noter que le 2° de l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 impose à l'étranger qui souhaite entrer en France de justifier de ses moyens d'existence et des garanties de son rapatriement ; cette disposition demeure applicable, y compris pour les visites familiales ou privées pour lesquelles une attestation d'accueil est produite. En deuxième lieu, on doit remarquer qu'aucune disposition de la loi ne prévoit que puisse être vérifiée par le maire la capacité de l'hébergeant à pourvoir effectivement aux frais de séjour ou de rapatriement de son invité, au contraire de ce qui est prévu pour les seules conditions d'hébergement. En troisième lieu, il faut souligner qu'aucune disposition de la loi n'organise de procédure sanctionnant le non-respect de l'engagement souscrit par l'hébergeant, ou en tirant quelque conséquence administrative ou civile que ce soit.
Dans ces conditions, au vu de la portée réelle des dispositions législatives critiquées, les griefs tirés du principe d'égalité, du droit au respect de la vie privée et du droit au respect de la vie familiale ne pourront qu'être écartés.
3. La critique tirée de l'incompétence négative et portant sur les conditions d'intervention du maire dans la procédure n'est pas davantage fondée.
Il faut rappeler que le rôle dévolu au maire par la loi déférée pour valider les attestations d'accueil est analogue à celui qui lui avait été confié par la loi du 24 août 1993 et qu'il s'exercera dans des conditions comparables. Le Conseil constitutionnel avait estimé, sur ce point, que la loi de 1993 était conforme à la Constitution. Au cas présent, le législateur a suffisamment précisé les modalités et conditions de mise en oeuvre de la procédure de validation des attestations d'accueil pour que soit écarté le grief d'incompétence négative.
On doit notamment souligner que le maire agira, sous l'empire de la présente loi, en qualité d'agent de l'Etat, ainsi qu'en dispose expressément la loi déférée qui organise, au surplus, un mécanisme de recours hiérarchique permettant au préfet de valider lui-même l'attestation d'accueil. La circonstance que des agents municipaux habilités puissent apporter leur concours, outre l'intervention des agents de l'Office des migrations internationales, pour procéder aux opérations de contrôle des logements n'est pas contraire à la Constitution : ces agents, qui seront des agents habilités des services sociaux ou des services du logement, agiront sous le contrôle du maire agissant lui-même en qualité d'autorité de l'Etat ; les conditions dans lesquelles ils pourront procéder à des vérifications sur place sont identiques à celles applicables aux agents de l'Office des migrations internationales, jugées conformes à la Constitution.
4. La critique adressée à la disposition prévoyant la possibilité de mettre en place des fichiers des demandes de validation des attestations d'accueil ne pourra pas non plus être retenue.
Ces fichiers, qui pourront facultativement être mis en place par les maires, ont pour seul objet, comme le précise la loi elle-même, de lutter contre les détournements de procédure. Leur consultation permettra d'identifier les auteurs de multiples attestations d'accueil dans des délais rapprochés et de mettre ainsi en lumière des tentatives d'aide à l'immigration irrégulière sous couvert de visites privées.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 97-389 DC du 22 avril 1997, n'a pas émis d'objection de principe à la constitution de tels fichiers, admettant implicitement mais nécessairement leur validité, sous réserve que leurs conditions de création et de mise en oeuvre respectent les dispositions protectrices de la liberté individuelle prévues par la législation relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Au cas présent, il faut noter que le législateur a entendu que s'appliquent les dispositions protectrices résultant de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Il a, en outre, prévu l'intervention d'un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés, afin de mettre en place un cadre unique et protecteur applicable à tous ces fichiers. Ce cadre précisera les conditions de mise à jour des informations enregistrées, les modalités d'habilitation des personnes appelées à consulter les fichiers et les conditions dans lesquelles les personnes intéressées pourront exercer leur droit d'accès. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que la faculté laissée aux maires de mettre en place ces fichiers porterait une atteinte excessive aux droits constitutionnellement garantis.
5. Les saisines mettent enfin en cause le mécanisme de recours hiérarchique auprès du préfet qui a été organisé et rendu obligatoire par la loi déférée. Contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions législatives en cause ne peuvent pas être regardées comme portant atteinte au droit au recours.
L'organisation d'un recours hiérarchique même obligatoire ne peut, en effet, être jugée contraire à la Constitution. Elle n'a ni pour objet ni pour effet de faire définitivement obstacle à la saisine des juridictions ; elle conduit simplement à imposer de saisir au préalable une autre autorité administrative qui sera d'ailleurs en mesure de réformer la première décision administrative plus rapidement que le juge ne sera en mesure de statuer. Un recours juridictionnel pourra, sans restrictions, être ensuite formé. En tout état de cause, on peut souligner que l'institution d'un recours hiérarchique obligatoire n'a pas pour effet d'interdire au justiciable de présenter une demande de référé devant le juge administratif sans attendre que l'autorité hiérarchique ait statué sur le recours préalable (CE, référé, 26 avril 2001, Fondation Lenval, Rec. p. 221 ; CE, Sect., 12 octobre 2001, Sté des produits Roche, req. no 237376).
III. - Sur les articles 8 et 21
A. - L'article 8 de la loi déférée, modifiant l'article 6 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dispose notamment que la délivrance d'une première carte de résident, lorsque la loi le prévoit, est subordonnée à l'intégration républicaine de l'étranger, appréciée en particulier au regard de sa connaissance de la langue française et des principes qui régissent la République. Pour l'appréciation de cette condition d'intégration, il est prévu que le préfet puisse saisir pour avis le maire de la commune de résidence de l'étranger. L'article 21, pour sa part, modifie l'article 14 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, porte de trois à cinq ans la condition de résidence ininterrompue en France et précise que la décision d'accorder la carte de résident, pour tous les cas prévus par cet article 14, est subordonnée à l'intégration républicaine de l'étranger.
Les parlementaires soutiennent que le législateur, en subordonnant la délivrance de la carte de résident à des conditions qui étaient exigées pour l'obtention de la nationalité, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de la liberté individuelle et du principe d'égalité. Ils invoquent également le droit à mener une vie privée et familiale normale. Ils critiquent, en outre, l'allongement à cinq ans de la durée de résidence ininterrompue en France. Ils contestent, enfin, que le législateur ait pu prévoir que le maire de la commune de résidence puisse être appelé, par le préfet, à formuler un avis sur la condition d'intégration.
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait faire siennes ces différentes critiques.
1. L'article 8 de la loi déférée reformule dans un article unique - l'article 6 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 - les dispositions générales relatives aux deux grandes catégories de titres de séjour susceptibles d'être délivrés aux étrangers qui résident en France, c'est-à-dire la carte de séjour temporaire et la carte de résident. L'article 8 doit être lu en combinaison avec d'autres articles de la loi, dont l'article 21 modifiant l'article 14 de l'ordonnance de 1945 relatif à la délivrance de la première carte de résident pour les catégories d'étrangers pour lesquelles cette délivrance n'est pas de plein droit.
Pour les catégories d'étrangers visées par les articles 8 et 21, la loi subordonne la délivrance de la première carte de résident à une condition d'intégration républicaine de l'étranger dans la société française. Le préfet peut, pour l'appréciation de cette condition, saisir le maire de la commune de résidence de l'étranger.
Ces nouvelles dispositions introduisent une distinction entre le droit au séjour, qui demeure fondé sur des faits objectifs (emploi salarié ; contrat de chercheur ; études ; liens familiaux avec un étranger en situation régulière) et est renouvelable de plein droit, et le statut de résident de longue durée qui confère un droit définitif à résider en France, la carte étant automatiquement renouvelable. Elles traduisent l'idée que le statut de résident de longue durée ne doit être accordé qu'aux étrangers qui ont démontré une réelle volonté d'intégration à la société française. Le suivi du contrat d'accueil et d'intégration, que le Gouvernement met progressivement en place et qui sera généralisé à l'ensemble du territoire en 2005, sera regardé comme un élément témoignant de cette volonté d'intégration. On peut d'ailleurs relever que cette idée n'était pas absente de l'article 14 de l'ordonnance de 1945 antérieur à la loi déférée, qui prévoyait déjà que la décision de délivrance de la carte de résident pouvait être prise au vu des éléments que l'étranger invoque « à l'appui de son intention de s'établir durablement en France ».
L'article 21 de la loi déférée porte par ailleurs de trois à cinq ans la durée de résidence en France nécessaire pour pouvoir obtenir une carte de résident. Cette disposition est en accord avec les objectifs de la directive du Conseil de l'Union européenne relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, qui doit être prochainement publiée. Cette directive fixe a priori un délai de cinq ans pour l'accès au statut de longue durée valable sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, avec droit au séjour et à l'installation dans un autre Etat membre de l'Union. C'est ce statut que conférera désormais la carte de résident de l'article 14 de l'ordonnance.
2. Il faut rappeler qu'aucun principe ni aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu au séjour sur le territoire national et que les conditions de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative (décision no 93-325 DC du 13 août 1993). Le législateur, en déterminant à cet égard les pouvoirs des autorités administratives, assure la conciliation entre les différents intérêts dont il a la charge. Il peut mettre en oeuvre, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, les objectifs d'intérêt général qu'il s'assigne.
C'est ainsi notamment qu'il a déjà été jugé que le législateur pouvait, en fonction des objectifs d'intérêt général qu'il s'était assigné, soumettre l'obtention de la carte de résident à des conditions plus exigeantes (décision no 93-325 DC du 13 août 1993).
Au cas présent, ni la nouvelle condition d'intégration dans la société française, ni l'allongement de la durée de résidence en France ne peuvent être regardés comme contraires à la Constitution. Ces nouvelles exigences répondent à l'objectif retenu par le législateur, selon lequel le statut de résident de longue durée doit être accordé à ceux qui ont exprimé leur adhésion au modèle républicain français et dont l'ancienneté du séjour est suffisamment caractérisée pour attester de la réalité de leur insertion dans la société française. Elles ne remettent pas en cause le droit au séjour des autres étrangers : dès lors que ces derniers rempliront les conditions prévues par la législation en vigueur, ils continueront de bénéficier d'un droit au séjour reconnu par une carte de séjour temporaire, délivrée en application de l'article 12 ou 12 bis de l'ordonnance de 1945. En tout état de cause, ce droit au séjour suffit à garantir le respect du droit à une vie familiale normale.
En outre, la circonstance que le législateur ait pu s'inspirer de critères d'intégration prévus en matière de nationalité ne se heurte à aucune objection constitutionnelle. L'acquisition de la nationalité française et la délivrance de la carte de résident demeurent des procédures éminemment distinctes : elles sont subordonnées à des conditions spécifiques ; elles créent des droits et obligations qui leur sont propres. On peut d'ailleurs constater que de nombreux étrangers, alors même qu'ils souhaitent s'installer pour toujours en France, ne demandent pas à acquérir la nationalité française pour des raisons tenant notamment à leur attachement à leur nationalité d'origine. Pour autant, le législateur pouvait parfaitement exiger que la délivrance de la carte de résident soit subordonnée à une condition d'intégration, conformément à l'objectif qu'il entend poursuivre consistant à distinguer le simple droit au séjour du statut de résident de longue durée.
On fera enfin valoir que le fait que le législateur ait prévu la possibilité, pour le préfet, de saisir pour avis le maire de la commune de résidence de l'étranger n'apparaît contraire à aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle. Selon les termes mêmes de la loi, l'appréciation de la condition d'intégration relève de la compétence du préfet ; la loi se borne à prévoir la faculté de demander l'avis du maire de la commune de résidence ; cet avis n'a que valeur consultative.
Dans ces conditions, le grief tiré de l'atteinte aux prérogatives de l'Etat ne pourra qu'être écarté comme manquant en fait.
IV. - Sur l'article 19
A. - L'article 19 de la loi déférée modifie la composition de la commission du titre de séjour instituée par l'article 12 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945, en adjoignant au membre de la juridiction administrative qui la préside et au magistrat judiciaire qui y siège un maire et deux personnalités qualifiées et en précisant que le représentant du préfet assure les fonctions de rapporteur de la commission.
Selon les auteurs des recours, ces modifications porteraient atteinte au respect du principe de la contradiction et des droits de la défense.
B. - Une telle argumentation ne pourra qu'être écartée.
Il faut rappeler que la commission du titre de séjour présente le caractère d'une instance consultative administrative chargée de donner au préfet un avis lorsqu'il envisage de refuser, pour des motifs touchant à l'ordre public, de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire ou une carte de résident quand leur délivrance est en principe de plein droit.
Comme le Conseil constitutionnel l'a déjà reconnu, il est loisible au législateur de modifier des règles de procédure administrative relative à des mesures de police administrative, dès lors qu'il n'est pas porté atteinte aux garanties juridictionnelles de droit commun (décision no 93-325 DC du 13 août 1993 ; décision no 97-389 DC du 22 avril 1997). Il a été précisément jugé, à propos de l'ancienne commission du séjour des étrangers, que la limitation des cas de saisine de cette commission comme la restriction de la portée de son intervention préalable ne portent atteinte à aucun principe constitutionnel (décision no 93-325 DC du 13 août 1993). La suppression même de cette instance consultative n'est pas davantage contraire à la Constitution (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997).
Au cas présent, le législateur a élargi le champ de compétences de la commission et s'est borné, pour le surplus, à en modifier la composition et à préciser certaines de ses règles de fonctionnement. Ces modifications ne portent aucune atteinte aux garanties juridictionnelles de droit commun dont bénéficient les étrangers concernés pour contester la légalité des décisions prises après l'avis de la commission. Elles ne mettent en cause aucun principe constitutionnel, notamment pas le principe des droits de la défense.
Enfin, et d'ailleurs, on peut remarquer que la procédure suivie devant la commission du titre de séjour échappe au champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CE 29 décembre 2000, Groupement d'information et de soutien aux travailleurs immigrés, Rec. p. 649). Il en résulte qu'est dépourvue de la moindre substance l'allusion faite par les recours aux jurisprudences relatives au rôle du rapporteur dans les juridictions ou les organismes susceptibles d'être regardés comme des juridictions pour la mise en oeuvre de l'article 6 de la convention européenne.
V. - Sur l'article 22
A. - L'article 22 modifie l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatif à la délivrance de plein droit de la carte de résident, en allongeant à deux ans la condition de durée du mariage prévue par le 1° de cet article pour l'étranger marié avec un ressortissant de nationalité française.
Les parlementaires requérants soutiennent que cette modification porterait une atteinte excessive au droit à mener une vie privée et familiale normale et à la liberté individuelle.
B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra souscrire à cette argumentation.
En soi, l'exigence d'une durée minimum de mariage avant la délivrance d'une carte de résident ne se heurte à aucun principe ni à aucune règle de valeur constitutionnelle (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997). Il appartient au législateur, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, et compte tenu des objectifs qu'il s'assigne, de déterminer les conditions de délivrance de la carte de résident. L'allongement d'un an à deux ans de la durée du mariage que décide la loi déférée ne constitue pas une modification d'une ampleur telle qu'elle puisse être regardée comme portant une atteinte disproportionnée au droit à une vie familiale normale.
On doit souligner à cet égard que le conjoint d'un Français qui ne pourrait justifier de cette durée de mariage est en droit en tout état de cause d'obtenir une carte de séjour temporaire en application de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. C'est précisément parce que, depuis la loi du 11 mai 1998, cette carte de séjour temporaire est délivrée de plein droit dès la célébration du mariage sans condition de séjour régulier - ce que la loi déférée ne remet nullement en cause - qu'il convient de porter à deux ans le délai d'accès à la carte de résident, ainsi que l'avait déjà suggéré le rapport Weil de 1997. L'équilibre destiné à concilier la lutte contre les mariages de complaisance et la stabilité des situations juridiques, qui avait été alors proposé et qui est finalement mis en oeuvre par la loi déférée, revient à consacrer immédiatement le droit au séjour, dès la célébration du mariage, par la délivrance d'une carte de séjour temporaire, mais à ne délivrer la carte de résident qu'au terme d'une durée de deux ans. Cette dernière carte ne peut en effet pas être retirée ; elle est automatiquement renouvelable ; elle consacre un droit définitif à vivre en France.
VI. - Sur les articles 23 et 24
A. - Les articles 23 et 24 abrogent, pour leur part, les 3° et 5° de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui prévoyaient la délivrance de plein droit d'une carte de résident à l'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France et au conjoint ainsi qu'aux enfants mineurs d'un étranger titulaire de la carte de résident qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial.
Selon les auteurs des recours, ces modifications porteraient atteinte au droit à la vie privée et à une vie familiale normale.
B. - Un tel grief n'est pas fondé.
Les articles 23 et 24 abrogent les 3° et 5° de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, ce qui a pour conséquence de supprimer des hypothèses de délivrance de plein droit de la carte de résident dans les cas, d'une part, de l'étranger père ou mère d'un enfant français résidant en France, d'autre part, du conjoint et des enfants mineurs d'un étranger titulaire d'une carte de résident qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial.
Mais il faut souligner que ces catégories d'étrangers pourront toujours prétendre à la délivrance d'une carte de résident dans les conditions prévues à l'article 14 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, modifié par l'article 21 de la loi déférée, c'est-à-dire au bout de deux ans de présence en France et sous condition de l'intégration républicaine.
Ces modifications ont été décidées par le législateur dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, compte tenu de l'objectif précédemment mentionné de distinguer entre le droit au séjour et le statut de résident de longue durée. Elles préservent parfaitement le droit à mener une vie familiale normale, dès lors que le droit au séjour n'est nullement remis en cause. Dans tous les cas, même en l'absence de carte de résident, les étrangers père ou mère d'un enfant français continueront de bénéficier de plein droit de la carte de séjour temporaire en vertu du 6° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; les conjoint et enfants du titulaire d'une carte de résident continueront de bénéficier du droit au regroupement familial et d'un droit au séjour en France sous couvert d'une carte de séjour temporaire délivrée sur le fondement du 1° de l'article 12 bis de l'ordonnance.
Dans ces conditions, la critique adressée aux articles 23 et 24 ne pourra pas être retenue.
VII. - Sur l'article 28
A. - L'article 28, modifiant l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui réprime le fait d'avoir facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France ou dans l'un des Etats parties à la convention de Schengen, prévoit notamment que la situation irrégulière de l'étranger est appréciée au regard de la législation de l'Etat partie et précise que les poursuites ne pourront être exercées à l'encontre de l'auteur de l'infraction que sur une dénonciation officielle ou sur une attestation des autorités compétentes de l'Etat partie.
Les saisissants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.
B. - Cette critique ne pourra qu'être écartée.
L'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 réprime le fait d'aider, de faciliter ou de tenter de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France, que la personne poursuivie se soit trouvée en France ou sur le territoire d'un Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990. Il réprime également, en vertu de dispositions en vigueur, le fait d'avoir aidé, facilité ou tenté de faciliter, depuis la France, l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger sur le territoire d'un autre Etat partie à la convention de Schengen. Dans ce dernier cas, la loi en vigueur précise que les poursuites ne pourront être exercées que sur une dénonciation officielle ou sur une attestation officielle des autorités compétentes de l'Etat partie concerné.
Les dispositions de l'article 28 de la loi déférée critiquées par les saisines se bornent à réécrire ces dernières dispositions sur la dénonciation officielle ou sur l'attestation officielle, en conséquence des modifications apportées par les 1° à 4° de l'article 28 destinées à clarifier le champ territorial de l'incrimination. Cet aménagement rédactionnel n'a nullement pour effet de modifier les dispositions en vigueur.
En tout état de cause, on doit souligner que ces dispositions pénales satisfont aux exigences constitutionnelles qui résultent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les termes de l'article 21 de l'ordonnance de 1945 énoncent de façon claire, précise et dépourvue d'ambiguïté les éléments constitutifs de l'infraction qu'ils définissent. S'agissant des poursuites relatives à l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers dans un autre Etat que la France, elles ne pourront être engagées que sur la dénonciation officielle ou sur une attestation des autorités compétentes de l'autre Etat.
Surtout, il faut relever que, comme en principe pour toutes les infractions qualifiées de crime ou de délit, s'appliquent en l'espèce les dispositions de l'article 121-3 du code pénal, selon lesquelles il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre (V. à cet égard la décision no 2003-467 DC du 13 mars 2003). L'élément intentionnel est l'un des éléments constitutifs de l'infraction en cause et il appartiendra à la partie poursuivante de déterminer que tous les éléments constitutifs de l'infraction pénale sont réunis, c'est-à-dire notamment l'élément intentionnel. Le ministère public devra donc apporter la preuve que l'auteur d'une infraction d'aide au séjour irrégulier avait conscience que les actes qu'il commettait revêtaient un caractère pénalement répréhensible ; il devra démontrer, à partir d'éléments de fait objectifs, que la personne poursuivie avait une connaissance suffisante des dispositions applicables dans le pays considéré et qu'elle a agi en toute connaissance de cause, afin de caractériser l'élément intentionnel de l'infraction.
On peut, enfin, observer que la prise en considération d'une législation pénale étrangère pour apprécier si une infraction est caractérisée n'est pas sans précédent ; on peut, en particulier, mentionner les termes du second alinéa de l'article 113-6 du code pénal s'agissant des délits commis par des ressortissants français hors du territoire de la République, dont les juridictions françaises ne peuvent connaître qu'à la condition que les faits soient incriminés en France et dans le pays dans lequel les faits ont été commis.
VIII. - Sur l'article 42
A. - L'article 42 de la loi déférée modifie l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatif au regroupement familial, notamment en prévoyant qu'en cas de rupture de la vie commune, la carte de séjour temporaire qui a été remise au conjoint d'un étranger peut faire l'objet d'un retrait ou d'un refus de renouvellement, dans les deux ans suivant sa délivrance.
Selon les auteurs des recours, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale.
B. - Cette critique n'est pas fondée.
L'article 42 de la loi révise les règles afférentes à l'instruction des demandes de rapprochement des personnes d'une même famille ainsi que les conditions de délivrance des titres de séjour aux étrangers concernés. Ce faisant, il participe d'une réforme d'ensemble à laquelle concourent également les articles 17, 21 et 24 de la loi. Le 6° de l'article 42, d'une part, précise explicitement qu'en cas de rupture de la vie commune entre le moment de l'entrée en France et la délivrance de la première carte de séjour temporaire, le préfet peut refuser cette délivrance et, d'autre part, allonge de un an à deux ans le délai pendant lequel la carte de séjour temporaire remise au conjoint d'un étranger peut être retirée ou non renouvelée en cas de rupture de la vie commune.
Cette disposition a pour objectif de mettre fin à certains abus liés à la procédure du regroupement familial. Elle est, par ailleurs, cohérente avec d'autres dispositions résultant de la loi déférée qui allongent de un à deux ans la durée de vie commune nécessaire pour accéder à la carte de résident en cas de mariage avec un Français. Il apparaît légitime, dès lors que le fondement du droit au séjour pour le regroupement familial est la présence en France du conjoint, que ce droit disparaisse en cas de rupture de la vie commune. De façon générale, il faut relever que tout étranger séjournant en France en vertu d'une carte de séjour temporaire peut voir son séjour interrompu si la condition justifiant la délivrance de ce titre n'est plus remplie.
Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre la sauvegarde de l'ordre public et les exigences du droit à une vie familiale normale. Mais les choix qu'il effectue dans le cadre de son pouvoir d'appréciation et compte tenu des objectifs d'intérêt public qu'il s'assigne ne sont susceptibles d'être jugés contraires à la Constitution que s'ils portent une atteinte excessive au droit à mener une vie familiale normale (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997).
Au cas présent, en fixant à deux ans le délai au terme duquel la carte de séjour ne peut plus être retirée, le législateur n'a pas porté une atteinte excessive aux droits constitutionnellement protégés : le retrait de la carte de séjour temporaire ne vient que tirer les conséquences de la rupture de la vie commune qui avait justifié l'entrée et le séjour sur le territoire national, mais ce retrait n'est possible que durant un délai de deux ans ; au-delà, la prise en considération de la vie personnelle en France de l'étranger entré sous couvert de regroupement familial a conduit le législateur à ne pas permettre la remise en cause de son droit au séjour, même en cas de rupture de la vie commune avec la personne qui a justifié son entrée en France. Ce choix équilibré du législateur n'apparaît nullement contraire à la Constitution.
IX. - Sur l'article 49
A. - L'article 49 modifie l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatif au placement d'un étranger en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire.
Les parlementaires requérants soutiennent que les dispositions adoptées par le législateur seraient contraires à l'article 66 de la Constitution et porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle. Ils relèvent, en particulier, que la rétention pourra atteindre 32 jours, que le juge judiciaire ne pourra intervenir pour décider de la mise en liberté une fois qu'il aura décidé de la prolongation de la rétention, que le ministère public peut relever appel d'une ordonnance de mise en liberté et demander au premier président de la cour d'appel ou à son délégué de déclarer cet appel suspensif, que la prolongation de la rétention peut conduire à la privation de liberté d'une personne pour des faits auxquels elle est étrangère. Les auteurs des recours font en outre valoir que les dispositions critiquées porteraient atteinte aux droits de la défense et au droit au procès équitable ainsi qu'au principe d'égalité devant la justice, en ce que l'étranger ne sera pas informé de ses droits « immédiatement » mais « dans les meilleurs délais », en ce que l'accès à l'espace confidentiel destiné aux entretiens entre l'étranger et son avocat pourra être refusé en cas de force majeure, et en ce que le législateur a prévu la possibilité de tenir des audiences dans des salles spéciales. Les parlementaires requérants invoquent, en outre, la protection constitutionnelle du droit d'asile pour critiquer la disposition qui exige à peine d'irrecevabilité qu'une demande d'asile soit déposée dans les cinq jours de la notification à l'étranger de ses droits à son arrivée dans le centre de rétention.
B. - Le Gouvernement estime que ces différentes critiques ne sont pas fondées.
1. L'article 49 de la loi déférée apporte trois modifications principales au régime de la rétention des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement exécutoire, défini par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. En premier lieu, il allonge de 5 à 15 jours la durée de la première prolongation du maintien en rétention prononcée par le juge des libertés et de la détention, ce délai pouvant être ultérieurement prorogé, par décision du juge, de 15 ou 5 jours supplémentaires, dans des cas limitativement énumérés. En deuxième lieu, la loi rétablit un mécanisme d'appel à caractère suspensif à la demande du ministère public. En troisième lieu, l'article 49 prévoit la possibilité de tenir des audiences dans des salles aménagées à proximité immédiate des lieux de rétention ainsi que celle d'utiliser des moyens de télécommunication audiovisuelle. En outre, l'article 49 renforce certaines des garanties offertes aux étrangers placés en rétention.
Ces différentes modifications visent, dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis, à renforcer l'efficacité des politiques migratoires en assurant l'effectivité des mesures d'éloignement prononcées pour séjour irrégulier ou motif d'ordre public.
Il faut, en effet, souligner la très grande proportion des décisions d'éloignement qui ne sont pas exécutées en raison des délais trop brefs de rétention. S'agissant des seules mesures de reconduite à la frontière, leur taux d'exécution était de 25 % en 1997, de 17 % en 2001 et d'un peu moins de 20 % en 2002 ; ainsi, sur environ 42 500 arrêtés de reconduite à la frontière prononcés en 2002, seuls 7 500 ont été effectivement exécutés. Cette situation nuit gravement à la crédibilité de la politique d'immigration ; elle revient à priver d'effet de nombreuses mesures d'éloignement décidées par l'autorité administrative dans le cadre des prérogatives que la loi lui a confiées et dont la légalité a été reconnue par le juge administratif ; elle peut aussi aboutir au maintien sur le territoire français d'étrangers ayant fait l'objet d'une mesure d'expulsion ou d'interdiction du territoire, dont la présence constitue une menace grave pour l'ordre public.
Or cette situation est en grande partie imputable aux trop brefs délais de rétention. Le délai de sept jours, éventuellement majoré de cinq jours dans des cas particuliers, est notoirement insuffisant au regard, d'une part, des délais nécessaires pour obtenir des consulats les laissez-passer permettant le retour des étrangers dans leur pays d'origine et, d'autre part, des difficultés liées à l'organisation du voyage. Il faut souligner que les délais fixés pour l'obtention de sauf-conduits par les accords de réadmission conclus avec des pays tiers ainsi que par les accords de Schengen et de Dublin souscrits par les pays de l'Union européenne pour la remise des demandeurs d'asile excèdent les délais de rétention : ils prévoient, en effet, des délais compris, le plus souvent, entre 15 et 30 jours pour la délivrance des laissez-passer consulaires. Dans ces conditions, il arrive fréquemment que l'autorité administrative renonce d'emblée à procéder à l'éloignement de certains étrangers en situation irrégulière, lorsqu'il est manifeste qu'il sera impossible, dans les délais impartis, de résoudre les difficultés d'identification de l'étranger, d'obtenir un laissez-passer consulaire et de régler la question du transport. Ainsi l'autorité administrative a-t-elle renoncé spontanément à placer en rétention la moitié environ des 20 000 étrangers en situation irrégulière qui ont été interpellés au cours de l'année 2002.
On doit insister, à cet égard, sur la singularité de la situation française. Tous les autres Etats membres de l'Union européenne ont, en effet, institué des délais de rétention notablement plus longs que la France. Au Danemark, les autorités compétentes disposent de 28 jours - soit plus du double de la durée maximale aujourd'hui autorisée en France en vertu de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Le délai maximum de rétention est de 40 jours en Espagne. Il est d'environ 2 mois en Irlande, au Portugal et en Italie. Il est de 3 mois en Grèce et au Luxembourg, de 5 mois en Belgique, de 6 mois en Autriche. Il atteint 18 mois en Allemagne. Trois pays de l'Union européenne, enfin, ne connaissent aucune limitation de la durée de la rétention : il s'agit de la Finlande, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne.
2. Le Conseil constitutionnel a admis qu'il est loisible au législateur de prévoir les cas dans lesquels une mesure de rétention peut être imposée à un étranger qui doit quitter le territoire national pendant la durée nécessaire à son départ, dès lors qu'il définit strictement ces cas, qu'ils sont placés sous le contrôle du juge et que le principe des droits de la défense est respecté (décision no 93-325 DC du 13 août 1993). Il a admis également que le législateur puisse autoriser la réitération du placement en rétention (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997). Il a jugé qu'en soumettant au contrôle de l'autorité judiciaire toute prolongation au-delà de 48 heures d'une rétention ordonnée par l'autorité administrative, le législateur satisfait aux exigences de l'article 66 de la Constitution (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997).
S'il est vrai que l'article 49 de la loi déférée allonge la durée de rétention susceptible d'être imposée à un étranger devant quitter le territoire national, les modifications qu'il apporte à l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 demeurent conformes aux exigences constitutionnelles.
Il faut souligner, d'abord, qu'il est expressément énoncé, au VI de l'article 35 bis de l'ordonnance de 1945 résultant de la loi déférée, que le placement ou le maintien en rétention n'est possible que pour le temps strictement nécessaire au départ de l'étranger et qu'il appartient à l'autorité administrative d'exercer toute diligence à cet effet. Comme il a été dit, l'allongement des délais maxima de rétention décidé par le législateur est rendu nécessaire par les difficultés et contraintes, précédemment mentionnées, qui caractérisent aujourd'hui l'organisation de l'éloignement forcé des étrangers devant quitter le territoire national.
Il faut relever, ensuite, que la prolongation des mesures de rétention demeure placée sous le contrôle du juge judiciaire. La décision initiale de mise en rétention est prise, conformément à ce qu'admet le Conseil constitutionnel, par l'autorité administrative (décision no 97-389 DC du 22 avril 1997). Mais seul le juge des libertés et de la détention peut ordonner la prolongation du maintien en rétention au-delà de 48 heures ; à défaut d'ordonner la prolongation, il décide la remise en liberté de l'étranger ou son assignation à résidence. Les ordonnances de maintien en rétention sont susceptibles de faire l'objet d'un appel de la part de l'étranger.
Les dispositions de la loi déférée respectent enfin les droits de la défense. L'étranger bénéficie pendant toute la durée de la rétention de l'assistance d'un interprète et d'un conseil ; il peut communiquer avec toute personne de son choix. Ces droits lui sont notifiés dans une langue qu'il comprend. Il bénéficie de l'aide juridictionnelle. La loi prévoit aussi la remise de documents écrits rappelant les étapes de la procédure et les moyens de la contester, organise un accès permanent des avocats aux lieux de rétention où ils disposeront d'un espace permettant de s'entretenir confidentiellement avec les étrangers retenus. L'accès à cet espace est de droit sauf cas de force majeure, c'est-à-dire si le local est déjà occupé ou en cas de trouble grave à l'ordre public au sein du centre de rétention.
On doit aussi remarquer que le législateur a pris soin, pour tenir compte des exigences constitutionnelles, d'aménager deux périodes distinctes de prorogation de la rétention. Il a prévu une première période de 15 jours décidée par le juge des libertés et de la détention. Au-delà, une nouvelle prorogation peut être ordonnée par le juge : ou bien pour 15 jours en cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ou lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement ; ou bien pour 5 jours en cas de défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat ou de l'absence de moyens de transport.
Sur ce dernier point, on peut observer que cette hypothèse de prolongation n'est possible que lorsque certaines circonstances objectives et précisément définies sont réunies : en particulier, il appartiendra à l'administration d'apporter la preuve qu'elle a accompli toutes diligences pour se procurer les documents nécessaires au départ et que ces derniers doivent parvenir à bref délai. Il est vrai, comme le relèvent les recours, que les circonstances envisagées ne procèdent pas, dans ce cas de prolongation, du comportement de l'étranger, mais on ne peut en déduire pour autant que le mécanisme organisé par le législateur serait contraire à une norme constitutionnelle. Il suffit de rappeler à cet égard que l'éloignement d'un étranger qui n'est pas autorisé à demeurer sur le territoire national ne constitue pas une sanction mais l'exécution forcée, autorisée par la loi, d'une mesure de police administrative.
Il apparaît ainsi que les dispositions adoptées par le législateur établissent un équilibre conforme à la Constitution, qui concilie les nécessités de l'ordre public, la légitimité de l'application pleine et entière de la loi et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. On peut mentionner, en outre, les progrès qui ont marqué l'évolution des conditions matérielles de la rétention, à la suite du décret no 2001-236 du 19 mars 2001 relatif aux normes en matière de confort, d'hygiène et d'assistance juridique et matérielle. On peut aussi relever que l'article 54 de la loi déférée a prévu la création d'une commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention, qui veillera au respect des droits des étrangers, notamment des normes d'hébergement.
3. Les saisines contestent également le mécanisme d'appel suspensif organisé par l'article 49 de la loi déférée. Le IV de l'article 35 bis de l'ordonnance de 1945, tel qu'il résulte de l'article 49, précise que les ordonnances rendues par le juge des libertés et de la détention sont susceptibles d'appel et que ce recours n'est pas suspensif. Il prévoit toutefois, pour le cas d'une ordonnance de mise en liberté, que le ministère public puisse demander au premier président de la cour d'appel, ou à son délégué, de déclarer l'appel suspensif si l'étranger ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou en cas de menace grave pour l'ordre public. Le procureur de la République dispose d'un délai de quatre heures pour former son recours ; le premier président décide ensuite sans délai s'il y a lieu de donner à cet appel un effet suspensif. Les dispositions combinées du I et du IV de l'article 35 bis ont pour effet de permettre de maintenir l'étranger à la disposition de la justice pendant ce délai de quatre heures, ou jusqu'à ce que l'ordonnance du premier président soit rendue si le procureur a saisi le premier président, ou jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond si l'appel a été déclaré suspensif.
Il suffit de relever, pour écarter l'argumentation développée par les recours sur ce point, que le législateur s'est directement inspiré, au cas présent, de mécanismes qui ont été jugés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Par la décision no 97-389 DC du 22 avril 1997, la conformité à la Constitution a été reconnue pour un précédent dispositif de recours permettant au procureur de la République de demander au premier président de la cour d'appel de déclarer suspensif l'appel formé contre une ordonnance de remise en liberté d'un étranger placé en rétention, mécanisme similaire à celui mis en place par la loi déférée. Par la décision no 2002-461 DC du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution d'un mécanisme de référé-détention en matière de détention provisoire, dont les caractéristiques sont analogues à celles du mécanisme prévu par la loi déférée.
4. Contrairement à ce que soutiennent les parlementaires requérants, la possibilité pour le juge de statuer dans une salle d'audience attribuée au ministère de la justice située à proximité immédiate du lieu de rétention, comme la possibilité de tenir les audiences, avec le consentement de l'intéressé, en utilisant des moyens de télécommunication audiovisuelle, ne portent pas atteinte au principe des droits de la défense.
Le recours à de telles salles d'audience ou à de tels moyens de communication ne porte, en effet, aucune atteinte aux droits de la défense qui dépendent non de l'emplacement des salles d'audience mais du respect de règles de procédure auxquelles la loi ne déroge nullement. On doit relever que le recours à ces possibilités aura pour effet de réduire, pour l'étranger concerné, les désagréments inhérents aux transfèrements sous escorte. Il faut souligner, aussi, que le législateur a pris soin de rappeler que les audiences présenteraient un caractère public, que les salles utilisées à proximité des lieux de rétention seraient spécialement aménagées pour permettre de statuer publiquement.
On peut observer, d'ailleurs, que diverses dispositions en vigueur organisent déjà la tenue d'audiences dans des salles spécialement aménagées à cette fin. Outre les dispositions générales de l'article 7-10-1-1 du code de l'organisation judiciaire sur les audiences foraines, on peut mentionner l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 en vigueur qui prévoit la possibilité pour le juge des libertés et de la détention de statuer dans des salles d'audience spécialement aménagées sur l'emprise portuaire ou aéroportuaire, à proximité de la zone d'attente. En vertu de l'article D. 116-8 du code de procédure pénale, les décisions relatives aux aménagements de peine des condamnés sont prises à l'issue d'un débat contradictoire qui a normalement lieu dans l'établissement pénitentiaire où le condamné est incarcéré. De même, certains textes ont déjà organisé la possibilité de tenir des audiences en utilisant des procédés de communication audiovisuelle (V. en particulier l'article 706-71 du code de procédure pénale tel que résultant de l'article 32 de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne puis de l'article 35 de la loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice et le décret no 2003-455 du 16 mai 2003, ou les dispositions des articles L. 952-7-II et L. 952-11-II du code de l'organisation judiciaire relatives à Saint-Pierre-et-Miquelon).
5. Enfin, la disposition prévue au V de l'article 35 bis, selon laquelle une demande d'asile ne sera plus recevable si elle est formulée plus de cinq jours après le début de la rétention, ne peut être jugée contraire aux exigences constitutionnelles garantissant le droit d'asile.
Il s'agit d'une disposition de procédure, et non de fond, destinée à faire échec aux demandes dilatoires qui seraient susceptibles d'être présentées dans les derniers jours de la rétention dans le seul but de faire échec à l'éloignement forcé du territoire national. Il faut souligner que la loi déférée prévoit que l'étranger reçoit notification des droits qu'il est susceptible d'exercer en matière d'asile à son arrivée au centre de rétention et qu'il est informé que sa demande d'asile ne sera plus recevable faute d'avoir été présentée dans un délai de cinq jours.
On peut rappeler, au surplus, que seuls des étrangers qui se trouvaient déjà irrégulièrement sur le territoire, depuis parfois plusieurs années, sont susceptibles d'être placés en rétention : ils ont déjà eu la possibilité de solliciter l'asile ; il s'ensuit que soit ils se sont abstenus de le faire, soit ils ont été déboutés de leur demande.
Il est exact qu'on ne peut exclure que, dans des cas exceptionnels, surviennent, après l'expiration du délai prévu par la disposition, des changements dans la situation du pays d'origine qui soient susceptibles de faire courir à l'étranger des risques pour sa vie ou sa liberté en cas de retour. Mais il faut noter que cette situation est prise en compte par l'article 27 bis de l'ordonnance qui prévoit qu'un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il est exposé à des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Cette disposition, qui peut être mise en oeuvre à tout moment de la procédure d'éloignement, vise toutes les situations prévues par la convention de Genève comme les motifs plus larges encore de l'article 3 de la convention européenne. Ainsi, dans l'hypothèse exceptionnelle où l'intéressé, forclos à demander l'asile alors qu'il est en rétention, encourrait des risques pour sa vie ou sa liberté, il serait protégé par les dispositions précitées de l'article 27 bis et la mesure d'éloignement ne serait pas exécutée.
X. - Sur l'article 50
A. - L'article 50 modifie l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatif aux zones d'attente.
Les saisines contestent les dispositions de cet article relatives à l'intervention du juge des libertés et de la détention ainsi qu'à l'appel susceptible d'être exercé par le ministère public, en soutenant qu'elles porteraient atteinte aux droits de la défense, au droit au procès équitable et au principe d'égalité devant la justice.
B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra, comme précédemment, qu'écarter ces griefs.
L'article 50 de la loi déférée modifie la procédure applicable en zone d'attente, notamment en prévoyant une possibilité d'appel suspensif et en précisant les conditions dans lesquelles le juge peut statuer dans une salle spécialement aménagée, étant entendu que le principe en était déjà prévu par les dispositions en vigueur de l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Les critiques dirigées contre ces mécanismes recevront les mêmes réponses que celles qui viennent d'être apportées à propos de l'article 49 de la loi déférée.
XI. - Sur l'article 53
A. - L'article 53 insère dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 un article 35 octies permettant à l'Etat, à titre expérimental, de passer des marchés relatifs aux transports de personnes retenues en centre de rétention ou maintenues en zones d'attente, avec des personnes de droit public ou de droit privé disposant d'un agrément. La loi précise que les marchés ne peuvent porter que sur la conduite et les mesures de sécurité inhérentes à la conduite, à l'exclusion de ce qui concerne la surveillance des personnes retenues ou maintenues qui demeure assurée par l'Etat. Il est prévu qu'un décret en Conseil d'Etat déterminera les conditions d'application de cet article ainsi que les conditions dans lesquelles les agents de sécurité privée pourront, le cas échéant, être armés.
Selon les saisissants, ces dispositions porteraient atteinte à la souveraineté nationale et à la liberté individuelle. Ils critiquent, en particulier, la possibilité pour les personnels des sociétés attributaires des marchés de disposer d'armes et soutiennent que la mesure serait disproportionnée au regard de l'objectif de sauvegarde de l'ordre public et de la liberté individuelle.
B. - Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.
Pour l'heure, le transport des personnes retenues dans les centres de rétention ou maintenues dans les zones d'attente est effectué par les forces de police qui assurent à la fois la conduite des véhicules de transport, l'escorte et la surveillance des personnes. Afin de libérer les forces de police des tâches qui ne relèvent pas de missions régaliennes, la loi déférée envisage, sous de strictes conditions, à titre expérimental et pour une période de deux ans, de passer des contrats avec des personnes de droit public ou privé pour ce qui touche à la conduite des véhicules et leur maintenance.
La critique des recours tirée de l'atteinte portée à la souveraineté nationale ne pourra qu'être écartée comme manquant en fait. Il faut, en effet, observer que le législateur a pris soin de préciser explicitement que les contrats en cause ne pourront porter que sur la conduite et les mesures de sécurité inhérentes à la conduite, à l'exclusion de toute fonction d'escorte ou de surveillance des personnes transportées qui demeurera assurée par des agents de l'Etat. Ces prescriptions législatives expresses sont, au surplus, pleinement corroborées par les déclarations faites au cours des débats parlementaires. Le grief tiré de ce que la loi aurait permis de confier à des personnes privées des missions non détachables des fonctions de souveraineté ne pourra, par suite, être retenu (V. la décision no 2002-461 DC du 29 août 2002).
La circonstance que le législateur ait prévu la possibilité pour des agents de sécurité privée d'être armés, dans des conditions devant être fixées par décret en Conseil d'Etat, ne peut être interprétée, ainsi qu'en témoignent les débats parlementaires, comme permettant, de manière indirecte ou détournée, à ces agents de sécurité privée d'exercer des missions de souveraineté relevant des agents de l'Etat. Cette possibilité n'a été envisagée par le législateur que dans le but de permettre aux agents privés d'assurer leur protection personnelle à l'égard d'agressions extérieures susceptibles de se produire lors du transport de certaines personnes. On peut observer, d'ailleurs, que l'application de la législation de droit commun résultant du décret-loi du 18 avril 1939 ou de la loi du 12 juillet 1983 relative à l'organisation des activités privées de sécurité aurait pu conduire à la délivrance ponctuelle d'autorisations de port d'arme au bénéfice des personnels concernés.
Dans ces conditions, il n'apparaît pas qu'en prévoyant, dans certains cas définis par décret en Conseil d'Etat, la simple possibilité d'être armé pour les agents des personnes de droit privé appelés à participer au transport de personnes retenues en centres de rétention ou maintenues en zones d'attente le législateur ait méconnu une règle ou un principe à valeur constitutionnelle. Les critiques dirigées contre l'article 53 seront donc écartées.
XII. - Sur l'article 76
A. - L'article 76 modifie l'article 175-2 du code civil et prévoit que l'officier de l'état civil peut saisir le procureur de la République lorsqu'il existe des indices sérieux laissant présumer qu'un mariage envisagé est susceptible d'être annulé et qu'il informe immédiatement le préfet de cette situation. Le procureur de la République peut faire opposition au mariage, décider qu'il sera sursis à sa célébration ou laisser procéder au mariage.
Les députés et sénateurs requérants soutiennent qu'en confiant au procureur de la République le pouvoir de s'opposer au mariage le législateur fait obstacle à la liberté du mariage et porterait une atteinte excessive à la liberté individuelle et au droit à la vie privée et familiale.
B. - Cette argumentation devrait être écartée.
Les recours contestent que le législateur ait pu prévoir que le procureur de la République puisse s'opposer à un mariage alors qu'il existe des indices sérieux laissant présumer que le mariage envisagé est susceptible d'être annulé au titre de l'article 146 du code civil, qui dispose qu'il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a pas de consentement.
Mais on doit relever que, sur ce point, la loi déférée se borne à reprendre des dispositions en vigueur, figurant d'ores et déjà à l'article 175-2 du code civil. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a censuré, par le passé, un mécanisme conduisant le procureur de la République à s'opposer à un mariage pour lequel existaient des indices sérieux qu'il était envisagé dans un but autre que l'union matrimoniale (décision no 93-325 DC du 13 août 1993). Mais il faut souligner les différences qui séparent la procédure qui avait été envisagée par les dispositions censurées le 13 août 1993 de celle qui a été ensuite organisée par la loi no 93-1417 du 30 décembre 1993 et qui est reprise par la loi déférée. En premier lieu, l'officier de l'état civil qui constate l'existence d'indices sérieux laissant présumer que le mariage envisagé est susceptible de tomber sous le coup de l'article 146 du code civil n'est pas tenu de saisir le procureur de la République ; il en a la faculté mais non l'obligation. En deuxième lieu, le procureur ne peut décider de surseoir à la célébration du mariage que s'il ordonne une enquête et pour une durée limitée à un mois, renouvelable une fois par décision spécialement motivée ; cette durée est réduite par rapport à la durée de trois mois qui avait été prévue par la disposition censurée en août 1993. En troisième lieu, la loi déférée reprend les dispositions en vigueur instituant une voie de recours à l'encontre de la décision du procureur devant le président du tribunal de grande instance, statuant dans les dix jours, dont la décision est susceptible d'être déférée à la cour d'appel, alors que la disposition censurée en 1993 ne prévoyait aucune voie de recours.
Compte tenu de l'encadrement retenu par le législateur et des garanties qu'il a instituées, le mécanisme de l'article 76 de la loi déférée permettant au procureur de la République de s'opposer à un mariage ne peut être regardé comme portant une atteinte excessive au principe constitutionnel de la liberté du mariage.
Il faut, à ce sujet, souligner l'accroissement du phénomène des mariages de complaisance et l'apparition de cas de mariages forcés. Les demandes en nullité de mariage ont augmenté au cours de ces dernières années. Le nombre de ressortissants français ou étrangers en séjour régulier, généralement des femmes, qui ont été abusés sur les intentions réelles de leur futur conjoint a connu une augmentation significative. En renforçant les moyens destinés à vérifier l'authenticité de l'union matrimoniale afin d'éviter un détournement de l'institution du mariage, le législateur a pris la mesure de ces évolutions et procédé à la conciliation qu'il lui appartient d'effectuer entre les exigences de la sauvegarde de l'ordre public et celles des intérêts constitutionnellement protégés.
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Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs des recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.